DIX-HUIT
LAUREL RESTA DANS SA VOITURE PLUSIEURS MINUTES, SE contentant de fixer la maisonnette de bois. Sa maison ; ou enfin presque. Elle était venue ici assez souvent l’an dernier : en se rendant à Avalon ou en revenant de là, ainsi que les fois où elle était passée voir Tamani l’automne précédent. Cependant, elle n’était pas entrée depuis qu’elle avait déménagé à Crescent City un an et demi auparavant. Là où la pelouse n’était pas recouverte de feuilles tombées pendant deux saisons, l’herbe était longue et broussailleuse, et les buissons avaient assez poussé pour couvrir la moitié des fenêtres avant. Laurel soupira. Elle n’avait pas pensé au jardin quand elle avait emballé son matériel. La solution la plus évidente serait d’amener David la prochaine fois, ainsi qu’une tondeuse à gazon et un taille-haie, mais cela serait affreusement gênant au mieux.
Un autre jour ; elle avait certainement assez de travail pour l’instant. Elle ouvrit le coffre, s’empara d’un seau plein d’éponges, de chiffons et d’autres fournitures qu’elle avait préparé ce matin, et elle transporta le tout vers la porte d’entrée.
La porte grinça sur ses gonds quand elle pénétra dans la maisonnette. C’était étrange d’entrer dans une maison totalement vide ; les maisons étaient conçues pour être remplies d’objets et de gens et de musique et d’odeurs. La grande pièce avant, qui prenait presque le premier étage en entier, semblait béante à présent. Une pièce pleine de vide.
Laurel déposa le seau sur le plan de travail de la cuisine et se rendit à l’évier pour ouvrir les robinets. Après un léger murmure, un jet d’eau teintée de cuivre s’échappa du bec. Laurel le laissa couler un moment et sous peu l’eau qui s’écoulait par le drain était claire.
Elle sourit, étrangement réconfortée par le son de l’eau courante emplissant la pièce et résonnant sur les murs dénudés.
Elle contourna l’escalier, déverrouillant et ouvrant toutes les fenêtres, permettant à la piquante brise d’automne de s’infiltrer dans la maison, la purgeant de son air confiné et étouffant piégé à l’intérieur depuis des mois. La fenêtre à droite de la porte refusa de céder et Laurel se débattit avec pendant quelques secondes.
— Laisse-moi t’aider, dit une voix douce juste derrière elle.
Même si elle s’était attendue à le voir, Laurel sursauta. Elle s’écarta et regarda Tamani asperger de chaque côté de la fenêtre un liquide venant d’une petite bouteille avant de soulever aisément le châssis. Il se tourna vers elle avec un grand sourire.
— Et voilà.
— Merci, lança-t-elle en lui rendant son sourire. Il ne dit rien, se contentant de se déplacer légèrement pour s’appuyer contre le mur.
— Je suis ici pour nettoyer un peu la maison, déclara Laurel en faisant un geste vers le seau rempli de produits.
— Je vois cela.
Il parcourut la pièce vide des yeux.
— Cela fait un bon moment que personne n’est venu. Des lustres depuis que moi, j’y suis entré.
Ils restèrent debout pendant de longues secondes sous une chape de silence gêné, de l’avis de Laurel, mais qui ne paraissait pas ennuyer Tamani le moins du monde.
Enfin, Laurel avança et l’étreignit. Les bras de Tamani s’enroulèrent autour du dos de la jeune fille, découvrant instantanément la bosse de sa fleur attachée, et il recula d’un bond comme s’il était choqué.
— Désolé, lâcha-t-il précipitamment en croisant les bras sur son torse. Je l’ignorais.
— Ça va, dit Laurel, ses mains volant vivement au nœud à sa taille.
Je voulais le défaire aussitôt que les fenêtres seraient ouvertes.
Ses pétales se levèrent brusquement dès qu’ils furent libérés et Laurel ne se donna pas la peine de dissimuler son soupir de soulagement.
— C’est l’un des plus beaux côtés d’être ici, déclara-t-elle d’un ton léger.
Tamani esquissa un sourire, mais ses yeux étaient fixés sur les pétales bleu et blanc.
— Que diable s’est-il passé ? demanda-t-il, s’avançant derrière elle.
— Euh… c’est l’autre raison de ma présence ici, admit Laurel. Le nettoyage m’a servi de prétexte auprès de mes parents afin qu’ils me permettent de venir.
Mais Tamani l’écoutait à peine. Il fixait son dos d’un regard atterré, ses mains formant des poings.
— Comment ? murmura-t-il.
— Des trolls, répondit-elle à voix basse.
Il releva brusquement la tête.
— Des trolls ? Où ? Chez toi ?
Laurel secoua la tête.
— J’ai été stupide, déclara-t-elle, essayant de minimiser la gravité des événements. J’ai assisté à cette fête, hier soir. Ils nous ont trouvés et ont forcé notre voiture à quitter la route. Je vais bien, par contre.
— Où étaient tes sentinelles ? s’enquit Tamani. Elles ne sont pas postées là uniquement pour garder ta demeure, tu sais.
— Je pense qu’elles étaient peut-être occupées… à d’autres problèmes, répondit Laurel. Quand nous sommes rentrés à la maison, maman a dit que des chiens se battaient dans notre cour arrière.
— Tu aurais pu être tuée ! s’exclama Tamani.
Il jeta un autre coup d’œil à son dos.
— On dirait que cela a presque été le cas.
— Une… femme nous a trouvés, juste à temps. Elle a fait fuir les trolls.
— Une femme ? Qui ?
Laurel remit la carte de Klea à Tamani.
— Klea Wilson. Qui est-elle ?
Laurel relata l’histoire de la nuit précédente, avec plusieurs interruptions de Tamani exigeant une clarification ici, des détails supplémentaires là. Son récit terminé, elle eut l’impression d’avoir revécu toute la pénible épreuve.
— Et ensuite, elle nous a obligés à prendre les pistolets et nous sommes partis, conclut-elle. C’était tellement étrange. J’ignore complètement qui elle est.
— Qui…
Tamana s’interrompit, puis fit quelques pas.
— C’est impossible…
Quelques pas de plus. Enfin, il demeura immobile, les bras croisés sur sa poitrine.
— Je dois en parler à Shar. C’est… problématique.
— Que suis-je censée faire ? demanda Laurel.
— Arrêter de sortir le soir ? suggéra Tamani.
Laurel roula les yeux.
— À part cela. Devrais-je lui faire confiance ? Si j’ai des ennuis et que les sentinelles ne sont pas là…
— Elles devraient toujours être là, déclara Tamani d’un ton sinistre.
— Mais si ce n’est pas le cas, si je revois cette femme… est-ce que je lui fais confiance ?
— Elle est humaine, n’est-ce pas ?
Laurel hocha la tête.
— Alors non, nous ne lui faisons pas confiance.
Laurel le regarda, bouche bée.
— Parce qu’elle est humaine ? Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire sur David ? Ou mes parents ?
— Donc, tu veux lui faire confiance ?
— Non. Je ne veux pas. Peut-être. Je l’ignore. Dis-moi de ne pas lui faire confiance parce qu’elle traque les non-humains ou parce qu’elle a des armes à feu. Mais tu ne peux pas décider qu’elle n’est pas digne de confiance parce qu’elle est humaine. C’est injuste.
Tamani leva ses mains en signe de frustration.
— C’est tout ce que j’ai, Laurel. Je n’ai rien d’autre sur quoi la juger.
— Elle m’a tout de même sauvé la vie.
— Bien, je vais lui retirer un de ses mauvais points.
Il marcha vers elle, puis s’appuya contre le mur adjacent.
Laurel soupira.
— Pourquoi cela se produit-il maintenant ? demanda-t-elle, la frustration s’infiltrant dans sa voix. Enfin ; presque un an s’est écoulé depuis Barnes, et rien. Et puis en une seule nuit, boum ! Des trolls, Klea, d’autres trolls chez moi. Tout cela en même temps.
Pourquoi ? s’enquit Laurel, tournant la tête vers Tamani.
— Bien, répondit Tamani avec hésitation, ce n’est pas tout à fait exact qu’il n’y a rien eu pendant un an.
Il paraissait contrit.
— Nous ne pensions pas que tu devais être informée de chaque troll qui passait par Crescent City et jetait un œil de ton côté.
— Il y en a eu d’autres ? demanda Laurel.
— Quelques-uns. Mais tu as raison : il s’agit de l’attaque la mieux organisée et la plus soigneusement ciblée dont j’ai entendu parler.
— Je n’arrive pas à croire qu’il y en a eu d’autres, déclara Laurel avec incrédulité. Je n’ai vraiment aucun contrôle sur ma vie.
— Oh, allons. Ce n’est pas comme cela. La plupart ne se sont pas rendus à moins d’un kilomètre de ta maison. Les sentinelles s’en sont occupées. Il n’y a pas de quoi s’en faire.
Laurel se moqua.
— « Pas de quoi s’en faire. » Facile à dire pour toi.
— Nous maîtrisions la situation, insista Tamani.
— Et la nuit dernière ? La nuit dernière était-elle sous votre contrôle ?
— Non, admit Tamani. Elle ne l’était pas. Mais rien de similaire n’est arrivé auparavant.
— Alors : pourquoi maintenant ?
Tamani sourit avec lassitude.
— C’est une bonne question. Si je le savais, je répondrais peut-être à certaines de mes propres questions aussi. Par exemple : pourquoi les trolls ont-ils cessé de venir fouiner autour d’ici dernièrement ; comment Jeremiah Barnes a-t-il découvert que le portail était situé sur cette terre ; et qui donne réellement les ordres à qui dans ce fiasco ? Voilà l’une des nombreuses choses que nous tentons encore de comprendre.
Laurel garda le silence un moment.
— Alors, que faisons-nous ? s’enquit-elle.
— Je ne sais pas, répondit-il. Prends des précautions, je suppose.
Agis avec prudence et tente d’éviter de te retrouver dans une situation où cette Klea pourrait surgir encore une fois.
— Oh, fais-moi confiance, c’est ce que je ferai.
— Pour l’instant, par contre, je crois que c’est la seule chose que tu peux faire. Je vais parler à Shar. Nous verrons si nous pensons à autre chose. D’accord ?
— OK.
— Merci d’être venue m’en informer, reprit-il. Je t’en suis vraiment reconnaissant. Et pas uniquement parce que cela me donne l’occasion de te voir. Quoique c’est un avantage agréable. Oh, ajouta-t-il en tendant la main dans son sac. J’ai un truc pour toi.
Jamison me l’a confié.
Il lui remit un gros sac de toile. Laurel le prit et regarda dedans une seconde avant d’éclater de rire.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Tamani, perplexe.
— De la canne à sucre en poudre. Je fabrique des fioles avec et mon stock tire à sa fin.
Elle secoua la tête.
— À présent, je pourrai en briser une centaine de plus, déclara-t-elle avec regret.
— Les choses ne vont toujours pas ? s’enquit Tamani, essayant de dissimuler son inquiétude.
— Non, admit Laurel d’un ton léger, mais cela viendra. Particulièrement maintenant que j’ai sous la main une tonne de plus de ceci, ajouta-t-elle avec un grand sourire.
Tamani sourit avant que ses yeux glissent de côté, se centrant sur quelque chose juste au-dessus de l’épaule de Laurel.
— Quoi ? demanda-t-elle, s’étirant le cou pour jeter un œil embarrassé sur ses pétales.
— Désolé, dit-il, offrant de nouveau ses excuses. Elle est si belle et je l’ai à peine vue l’an dernier.
Laurel rit et tournoya, montrant sa fleur. Quand elle se retourna, Tamani examinait consciencieusement le seau de produits nettoyants de Laurel. Celle-ci repensa à la conversation qu’elle avait eue avec David sur le fait qu’il trouvait sa fleur très désirable. Si elle était désirable pour David…
Fini les tourniquets.
— Donc, qu’est-ce que tout cela ? demanda Tamani pour cacher ce moment d’embarras.
— Simplement des trucs pour nettoyer. Du nettoyant à vitre, à plancher et tout usage.
Elle sortit une paire de gants de caoutchouc.
— Et ceci, afin qu’aucun ne m’éclabousse.
— Alors… puis-je t’aider ?
— J’ai emporté seulement une paire de gants, mais…
Elle prit plumeau.
— Tu peux épousseter.
— Que dirais-tu si je nettoyais et tu époussetais ?
— Ce n’est que de l’époussetage, dit Laurel en riant. Tu n’as pas besoin de porter un tablier à volants ni rien.
Tamani haussa les épaules.
— Bien. C’est juste bizarre.
— Pourquoi est-ce bizarre ? demanda Laurel en remplissant son seau d’eau chaude savonneuse avant de mettre ses gants.
— C’est du travail de Voûte. C’est étrange de te voir l’accomplir.
C’est tout.
Laurel rit en essuyant les plans de travail poussiéreux avec son éponge.
— Je pensais que tu étais mal à l’aise parce qu’il s’agissait d’un « boulot de femme ».
— Les humains, marmotta Tamani d’un ton moqueur en secouant la tête.
Puis, joyeusement :
— J’ai récuré plus d’une pièce dans mon temps.
Ils travaillèrent en silence un moment, Tamani nettoyant les toiles d’araignée dans plusieurs coins, Laurel frottant les surfaces de travail et les armoires de la cuisine.
— Tu devrais vraiment me laisser t’apporter des produits nettoyants d’Avalon si tu as l’intention de faire cela très souvent, déclara Tamani. Ma mère connaît une M… euh, une fée d’automne qui fabrique les meilleurs trucs. Tu n’aurais pas besoin de gants.
— Tu allais dire Mélangeuse, le taquina Laurel.
— Je suis un soldat, rétorqua Tamani, d’une voix exagérément formelle. Je suis entouré de sentinelles grossières de l’aube jusqu’à l’aurore. Mes excuses pour mon comportement vulgaire.
Laurel le regarda l’observer avec un sourire espiègle, presque railleur. Elle tira la langue, ce qui le fit rire.
— Alors, si ce n’est pas un tracas, des produits de nettoyage de fée seraient bien, dit-elle. Comment se porte ta mère ?
— Bien. Elle aimerait te revoir.
— Et Rowen ? s’enquit Laurel, évitant la question sous-entendue dans sa déclaration.
Tamani sourit largement à présent.
— Elle s’est produite pour la première fois en spectacle au festival de l’équinoxe ; elle était adorable. Elle tenait la traîne de la fée incarnant Guenièvre dans la recréation de Camelot.
— Je parie qu’elle était belle.
— Oui. Tu devrais venir assister à un festival un de ces jours.
Les nombreuses possibilités défilèrent dans l’esprit de Laurel.
— Peut-être un jour, répondit-elle avec un sourire. Quand les choses ne seront pas aussi… tu sais.
— Il n’y a aucun endroit plus sécuritaire pour toi qu’Avalon, déclara Tamani.
— Je sais, répliqua Laurel en jetant un rapide coup d’œil par la fenêtre.
— Que cherches-tu ? s’enquit Tamani.
— Les autres sentinelles.
— Pourquoi ?
— Ne te lasses-tu jamais de savoir qu’il y a toujours quelqu’un qui t’écoute ?
— Nan. Ils sont polis. Ils nous laisseront un peu d’intimité.
Laurel s’étrangla de rire, sceptique.
— Admets-le, si c’était Shar et une fille étrange, toi, tu les espionnerais.
Le visage de Tamani se figea une seconde avant que ses yeux filent aussi à la fenêtre.
— Bien, reconnut-il. Tu gagnes.
— C’est une des raisons pour lesquelles je ne sais pas si je pourrais revivre dans cette maisonnette. N’être jamais vraiment seule.
— Il y a d’autres avantages, déclara Tamani d’un ton pas si moqueur.
— Oh, j’en suis certaine, rétorqua Laurel, ne mordant pas à l’hameçon. Mais l’intimité n’en fait pas partie.
Ils nettoyèrent encore un peu sans parler. Au début, Laurel souhaita avoir pensé à apporter une radio ou autre chose.
Cependant, Tamani ne semblait pas gêné par le silence, et sous peu, Laurel réalisa que ce n’était pas vraiment silencieux du tout. La brise soufflant entre les arbres et glissant par les fenêtres constituait une bande sonore à elle seule.
— Est-ce difficile ? demanda tout à coup Tamani.
— Quoi ? dit Laurel, levant les yeux de la fenêtre qu’elle polissait.
— Vivre une vie d’humain ? À présent que tu sais ce que tu es ?
Laurel resta longtemps immobile avant d’acquiescer d’un signe de tête.
— Parfois. Et toi ? N’est-ce pas difficile de vivre dans la forêt si près d’Avalon, mais du mauvais côté du portail ?
— Quand j’ai commencé, mais à présent j’y suis habitué. Et je suis vraiment près. J’y retourne souvent. De plus, j’ai des amis – des amis fées – avec moi tout le temps.
Il marqua une pause de quelques secondes.
— Es-tu heureuse ? murmura-t-il.
— Maintenant ? répondit-elle, la voix également basse alors que ses mains serraient les serviettes en papier.
Souriant tristement, Tamani secoua la tête.
— Je sais que tu es heureuse maintenant. Je le vois dans tes yeux.
Mais es-tu heureuse lorsque nous… lorsque tu n’es pas ici ?
— Évidemment, répondit-elle rapidement. Je suis très heureuse.
Elle se tourna et frotta les fenêtres avec vigueur.
L’expression de Tamani ne changea pas.
— J’ai toutes les raisons d’être heureuse, poursuivit Laurel, forçant sa voix à demeurer calme. J’ai une vie merveilleuse.
— Je n’ai jamais dit le contraire.
— Tu n’es pas la seule personne qui m’apporte du bonheur.
Il eut un très léger hochement de tête et fit une grimace.
— Je suis très conscient de cela.
— Le monde des humains n’est pas aussi monotone et triste que tu aimes à le croire. Il est amusant et excitant et – elle chercha un autre mot – et…
— Je suis content, l’interrompit Tamani.
Il était près de son épaule à présent.
— Je ne posais pas la question pour prouver quelque chose, dit-il avec sérieux. Je voulais vraiment savoir. Et j’espérais que tu l’étais.
Je… je m’inquiète pour toi. Inutilement, j’en suis certain, mais je le fais quand même.
L’embarras envahit Laurel et elle tenta de détendre sa colonne vertébrale raidie.
— Désolée.
— Bien, tu le devrais.
Tamani sourit largement.
Laurel secoua la tête en riant.
Du coin de l’œil, elle le vit lever la main vers elle, puis la laisser retomber et essayer d’enfoncer subtilement ses mains dans ses poches.
— Quoi ? lança-t-elle.
— Rien, répondit-il, pivotant et repartant vers le côté opposé de la pièce.
— La « poussière de fée » ? demanda Laurel, se souvenant de l’an dernier et d’un autre moment un peu plus tôt cet été à Avalon.
Tamani hocha la tête.
— Laisse-moi voir.
Elle avait réagi trop tard à Avalon, mais elle tenait maintenant l’occasion parfaite.
— Tu t’es mise en colère contre moi l’an passé.
— Oh, je t’en prie. Ne me rends pas responsable de toutes les stupidités que j’ai faites l’an dernier.
Elle attrapa son poignet et tira sa main vers elle.
Il ne résista pas.
Sa main était légèrement saupoudrée d’une fine poudre étincelante. Elle tint son bras en angle de sorte que le pollen attire le soleil et miroite.
— C’est tellement joli.
C’est seulement à ce moment que la main de Tamani se détendit. Un sourire badin traversa son visage et il leva la main et frotta un doigt sur sa joue, y laissant une légère traînée argentée.
— Hé !
Ses mains agiles s’élevèrent brusquement et il traça une ligne sur son autre joue.
— À présent, tu es pareille des deux côtés.
Il tendit de nouveau sa main – visant son nez – mais elle était prête cette fois. Elle referma ses doigts sur son poignet, le bloquant.
Tamani baissa les yeux sur sa main, à un bon cinq centimètres du visage de Laurel.
— Je suis impressionné.
Il leva son autre main tellement vite, Laurel ne la vit même pas avant qu’elle touche son nez. Elle tapait sa main alors qu’il riait en continuant d’essayer de dessiner des rayures et qu’elle tentait, habituellement sans succès, de l’en empêcher. Il réussit enfin à lui attraper les deux mains et il les maintint sur les flancs de la jeune fée, puis l’attira contre son torse. Le sourire de Laurel s’évanouit quand elle le regarda, leurs visages à quelques centimètres l’un de l’autre.
— Je gagne, chuchota-t-il.
Leurs regards restèrent rivés et Tamani s’avança lentement.
Mais avant que son visage ne puisse rejoindre le sien, Laurel baissa la tête, brisant le lien.
— Désolée, murmura-t-elle.
Tamani se contenta de hocher la tête et de la libérer.
— Voulais-tu aussi essayer de nettoyer le haut aujourd’hui ? s’enquit-il.
Laurel examina le rez-de-chaussée à moitié propre.
— Peut-être ?
— Je vais rester et t’aider, si tu veux, offrit-il.
— J’aimerais que tu restes, dit Laurel, ses mots répondant à autre chose qu’à la simple question. Mais seulement si tu le souhaites.
— Oui, dit-il, le regard fixe. Du reste, ajouta-t-il avec un grand sourire, tu n’as pas apporté d’échelle. Comment te rendras-tu jusqu’au plafond sans mon aide ? Tu es pratiquement un jeune plant.
Ils travaillèrent pendant les trois heures suivantes, jusqu’à ce qu’ils soient gagnés par la fatigue et poussiéreux, mais la maison était à peu près propre. À tout le moins, le travail serait plus facile la prochaine fois que Laurel s’y attaquerait.
Tamani insista pour transporter le seau quand il la raccompagna à sa voiture.
— Je te demanderais de rester, mais je me sentirais vraiment plus à l’aise si tu rentrais chez toi avant le coucher du soleil, dit-il.
Particulièrement après la nuit dernière. C’est juste mieux ainsi.
Laurel hocha la tête.
— Et sois prudente, reprit-il sévèrement. Nous te protégeons autant que possible, mais nous ne sommes pas des faiseurs de miracles.
— Je serai prudente, promit Laurel. J’ai été prudente.
Elle resta là quelques instants et cette fois ce fut Tam qui s’avança en premier, ses bras s’enroulant autour d’elle, la tenant serrée contre lui, son visage dans son cou.
— Reviens bientôt, murmura-t-il. Tu me manques.
— Je sais, admit-elle. Je vais essayer.
Elle se glissa derrière le volant et ajusta son rétroviseur afin de voir Tamani debout, les mains dans les poches, l’observant. Un léger mouvement attira son œil et elle examina un gros arbre au bout de son jardin. Elle mit un moment à distinguer la grande fée mince debout, à moitié cachée par le tronc. Shar. Il ne dit rien pour faire connaître sa présence : il se contenta d’un regard furibond.
Laurel frissonna. Son regard n’était pas dirigé vers Tamani, mais vers elle.